
Angrathar, portail du courroux. Il faisait froid ce matin là, beaucoup plus froid que d'habitude, quand Draszil trébucha, effrayée par la vision que la Reine Dragon venait de lui envoyer. Certes, en survolant cet endroit pour la première fois, la jeune Taurène s'était bien doutée qu'il s'agissait d'un champ de bataille. Elle avait également compris par les cris des soldats qui s'enfuyaient encore que la défaite était toute récente. Oui, une défaite, mais quel camp avait bien pu gagner si les cadavres alentour étaient à la fois humains et orcs... Des guerriers de la Horde et de l'Alliance gisaient derrière la Reine Dragon qui ne montrait en rien l'inquiétude qui bouillonnait en son sein. La jeune Taurène ne tarda pas à comprendre. Les réprouvés... Que cherchaient-ils donc en agissant de la sorte ? Se venger de quoi ? Elle ne connaissait que trop bien la triste histoire de Sylvanas, cependant des doutes naissaient en elle.
Le souffle chaud de la dragonne, mourant sur une dernière image d'Arthas, tira Draszil de la vision. - J'espère que notre tout proche passé ne t'as pas secouée autant qu'il y paraît, car une fois que nous aurons percé le mystère de l'ouverture de ce portail, nous comptons bien y pénétrer et en déloger le maléfique propriétaire. - Quelque chose me dit que ce ne sera pas si facile... - Nous n'avons pour l'instant que l'espoir, jeune Héraut. Tu as vu tout ce que j'ai moi-même pu voir, nous n'en savons pas plus. Tu as plus que largement servi notre cause et celle de nos alliés. Cependant, avant de te laisser repartir, j'ai une dernière mission de la plus haute importance pour toi. - Je vous écoute. - J'ai eu vent de la lourde mission que tu as accomplie à Frimarra. Les mots de la Lieuse-de-Vie s'évanouirent dans l'air glacé une fois de plus. Le regard de Draszil se fit triste, plus triste qu'il ne l'était habituellement, alors qu'elle revoyait cette somptueuse dragonne qui l'avait guidée et secourue maintes fois durant ses quêtes autour du bouclier Transitus, qui l'avait guidée vers de nombreux objectifs visant à affaiblir Malygos, qui avait donné sa vie pour éviter que celles des autres dragons rouges de l'île soient volées à jamais... Ils l'avaient faite prisonnière, ils l'avaient maudite et corrompue, mais dans son dernier souffle libérateur, Keristrasza avait retrouvé la raison, elle priait et demandait pardon. Avant que ses yeux ne se ferment à jamais, elle avait posé son dernier regard reconnaissant sur la jeune Taurène et ses compagnons. - Nous savons que tu l'as déjà sauvée en lui offrant le repos, mais il reste une parcelle d'elle dans ces terres gelées, et tu peux encore la sauver. Draszil avait perdu une bonne partie de la conversation de l'Aspect. Elle avait sans nul doute évoqué ce qui s'était déroulé dans la mémoire de son Héraut, mais cette dernière s'en voulait de ne l'avoir pas écoutée. - Que dois-je faire ? - Achever ce pour quoi elle se battait. Certes elle voulait sauver les siens, mais sa toute dernière descendance était également en danger, retenue comme elle par les forces du Vol bleu. Nous avons réussi à secourir sa fille, mais elle nous a échappé, morte de chagrin. Sa volonté de se cacher pour se lamenter était telle que je ne l'ai pas faite chercher, elle est partie là où elle se sent sans doute en sécurité. Tu dois la retrouver, Draszil. La trouver et soigner ses blessures, qu'elle vive. Ensuite, qu'elle reste ou elle est si elle le désire, qu'elle vienne avec toi ou qu'elle nous rejoigne au temple. Mais qu'elle vive, c'est le plus importants. Que les efforts et le sacrifice de sa mère n'aient pas été vains ! - Bien. Je me mets en route. Alors qu'elle se préparait à faire appel à sa monture, un imposant dragon rouge se posa à leurs cotés. Pas aussi grand que la Reine certes, mais il atteignait déjà plus de la moitié de sa taille. Sur le moment, Draszil ne le reconnut pas. Il avait un air majestueux et empreint de souvenirs qu'on ne pouvait prêter qu'aux Aspects ou à ceux qui s'étaient longuement battus à leurs côtés. - Korialstrasz, je ne t'attendais pas ici. Aurais-tu des nouvelles à nous apporter ? - Oui, ma Reine. Des éclaireurs en patrouille nous ont rapporté un événement étrange. Ils ont vu la population d'une grotte la fuir sans que le motif de la peur qui s'affichait sur leur visage ne soit visible. Une grotte taillée dans la montagne, loin au nord d'ici, dans les neiges des Pics Foudroyés. - Bien. Je pense que cette information devrait être précieuse pour votre recherche, Draszil. - Je vais m'y diriger. Le dragon s'apprêtait à proposer son aide, mais déjà la Taurène s'était métamorphosé. Le regard perçant de sa forme aviaire scrutait Korialstrasz. Elle l'avait reconnu et ne souhaitait nullement qu'il l'accompagne. Elle s'était toujours méfié des manipulateurs de temps, et Krasus devant elle lui semblait le pire exemple de ce que l'on ne doit pas faire, même pour sauver un peuple allié. Nozdormu, l'Aspect du Temps, avait sans doute du le lui faire comprendre également, c'était pour cette raison qu'il le surveillait, peut-être. Draszil n'avait aucunement confiance en lui, et elle ne se serait pas gardé de le lui faire remarquer s'il n'avait pas été le Consort de la Reine Dragon, et en la présence de celle-ci qui plus est. Ce fut donc le regard lourd de reproches qu'elle s'envola pour les Pics Foudroyés. Elle n'était pas habituée à ce froid mordant sur ses ailes fragiles. Après avoir passé la majeure partie de sa vie dans les douces plaines de Mulgore et la dernière année écoulée dans la chaleur de l'Outreterre, elle ne s'était pas encore habituée malgré toutes les missions qu'elle avait du suivre, les sabots dans la neige. Elle aurait certes eu la possibilité de faire appel à l'une de ses montures, mais aucune de celles qui pouvaient voler ne supporterait le froid, et elle ne voulait en aucun cas infliger la morsure glaciale à aucun de ses compagnons qui s'en serait affaibli. Elle pensait à eux d'ailleurs, à ses raies, ses dragons du Néant, son hippogriffe... Ils lui manquaient terriblement, mais elle ne tarderait sans doute pas à retourner à Orneval et à la Péninsule pour leur rendre visite. Ses pensées l'occupant en partie, elle ne se rendit compte qu'elle approchait de sa destination que lorsqu'elle entendit les sifflement des araignées géantes mêlés aux cris des Kobolds qui s'enfuyaient d'une grotte à l'ouverture monstrueuse. Pour ne pas attirer l'attention des créatures, elle se posa sur le sommet de la grotte en adoptant sa forme féline avant de devenir furtive pour se glisser le long de la paroi et pénétrer dans l'antre. Quelques cadavres grossièrement piétinés s'offrirent à sa vue. Une moue de dégoût passa brièvement sur ses traits alors qu'elle filait vers le fond de la grotte. Une chaleur apaisante commençait à s'installer. Draszil ralentit le pas, se fit encore plus prudente, et marcha dix bonnes minutes dans la neige dont le froid glacial mordait les coussinets de ses pattes. La chaleur s'atténuait par moment, puis revenait. La Taurène découvrit soudainement sur la dernière paroi face à elle une ombre immense. Elle approchait. Un râle plaintif la figea sur place. Elle avait retrouvé la dragonne. Elle se lamentait, perdue, pleurant sa mère qu'elle ne reverrait jamais. Draszil approcha de nouveau et décida de se dévoiler aux yeux de la jeune bête, qui la regarda à peine, ne se demandant pas même qui elle était ni ce qu'elle faisait ici. - Tu devrais sortir d'ici, fille du Vol rouge. Les chasseresses des villages barbares au nord ne vont pas tarder à être alertées par le bruit des habitants de la grotte que tu as fait fuir. Les gobelins de K3 te laisseront sans doute tranquille, mais je doute que ces cruelles vipères épargnent la vie d'une créature aussi rare. - Tu perds ton temps à me parler, Druidesse, je n'ai aucune intention de sortir d'ici. - J'entends bien oui, mais tu v - Assez ! Mourir ou vivre, je n'en ai rien à faire, je préférerais être morte d'ailleurs, cela m'épargnerait bien des peines ! - Et quand tu mourras et que ton esprit s'évadera vers les royaumes infinis qui accueillent les âmes, que diras-tu à ta mère quand tu la rencontreras ? Imagine ce qu'elle pourrait ressentir à voir son sacrifice vain. Tu devr La dragonne interrompit Draszil d'un rugissement terrifiant, mais même si le souffle seul aurait pu la faire déguerpir, la Taurène ne broncha pas d'une moustache. - Si tu essayais de m'effrayer, bonne chance, tu peux t'y reprendre à dix fois si cela t'amuse... Elle obtint pour toute réponse un regard méprisant. La jeune créature posa sa lourde tête sur ses pattes avant croisées, se détournant de son interlocutrice. Le lion fronça les sourcils et sauta lestement sur le flanc de la dragonne avec toute l'agilité qui caractérisait son expérience dans le combat farouche. La fille du Vol rouge ne broncha pas, dissimulant son impatience, pensant que si elle ne présentait aucune réaction, la druidesse finirait par s'en aller, lassée. Ce ne fut pas le cas. Draszil s'installa paisiblement, dans la même posture que la créature, et ferma un œil. Elle murmurait, de temps en temps. - Ce qu'il peut faire froid ici, surtout pour un bébé dragon... Alexstrasza va être tant contente que je lui ramène la petite... Hm je vais avoir droit à un repas de roi... Puis elle baillait bruyamment, se retournait, se roulait, s'étirait en effleurant de ses griffes les écailles de la bête. Le jeu dura longtemps, mais elle finit par l'emporter comme elle l'avait prévu. A bout de nerfs, la jeune dragonne se leva en rugissant, écartant d'un coup ses ailes affaiblies. - Vas-tu enfin me laisser en paix ?! - Je ne crois pas non, je suis bien ici, trouve-toi un autre coin. Au temple du Vol draconique rouge, par exemple. - Hors de ma vue ! J'ai pris place ici et je compte bien y rester, même si pour cela je dois te chasser par la force de mes flammes ! La perspective de finir grillée collée à une des parois de la grotte effraya un instant Draszil, jusqu'à ce qu'elle vit que la créature était incapable de mettre sa menace à exécution. Trop jeune, sans doute, pour réussir à user des flammes. - Ta seule arme effrayante n'est pas en état de fonctionner, on dirait. Le sourire narquois du lion aurait pu déchaîner la colère de la dragonne, elle aurait pu balancer violemment sa lourde patte pourvue de griffes mesurant près de la moitié du corps de Draszil, ou encore sa queue pourvue de pics acérés... Pire, elle aurait pu mordre, et la puissance de ses mâchoires aurait suffit pour qu'une seule pression brise en deux le félin. Il n'en fut rien cependant. La dragonne s'écroula de nouveau, abattue de fatigue et de tristesse. Il ne lui restait que très peu de forces. - Il ne faut pas que tu meures, fille de Keristrasza. J'ai combattu aux côtés de ta mère, et je persiste à croire que même de l'autre monde, elle ne souhaite pas que tu la rejoignes. Tu seras en sécurité au Temple. Un soupir mêlé d'un grognement défaitiste fit trembler les stalactites au-dessus de leurs têtes. Inquiète, Draszil alla frotter son museau contre les naseaux tremblant de la dragonne, lui adressa un regard doux et se mit en marche vers la sortie, regardant par-dessus son épaule. La créature se leva avec peine mais finit par la suivre. Loin devant l'entrée de la grotte, des rumeurs naissaient et parvenaient jusqu'à leurs oreilles. - Nous devons nous dépêcher ! Les amazones du nord vont arriver d'un moment à l'autre, et mieux vaut qu'elles ne puissent pas nous coincer dans cette grotte ! - Grimpe sur mon dos. - Mais tu es trop faible pour - Grimpe, je te dis ! Je volerais bien plus vite que toi tu ne galoperas. Après une seconde d'hésitation interrompue par des retentissements de cors barbares, Draszil pris son élan et sauta sur le dos de la dragonne, derrière ses ailes, reprenant sa forme Taurène pour s'agripper au mieux sans blesser sa nouvelle protégée. Tout en accélérant le pas, sa monture commença à battre des ailes pour se les dégourdir, jusqu'à ce que l'entrée de la grotte leur soit enfin à portée. Une horde d'amazones était visible, montées sur des ours polaires de guerre ou des proto-drakes d'un azur luisant. Elles hurlèrent en apercevant la dragonne et des harpons fendirent la lumière du ciel, atterrissant des deux coté de la bête sans l'atteindre. Elle en esquiva plusieurs autres avant de parvenir à décoller faiblement, battant des ailes à une vitesse telle que la druidesse cru qu'elles allaient pouvoir s'en décrocher. Au sol, furieuses que leur proie leur échappe par les airs, les amazones commandèrent à leurs chevaucheuses de drakes de suivre la jeune rouge. Draszil regarda par-dessus son épaule et cria. - Plus vite ! Elles vont nous rattraper, leurs drakes sont rapides ! - Je fais ce que je peux ! Je ne sais même pas ou nous devons aller ! - Droit vers le sud ! Nous ne sommes pas loin de la frontière avec le Chant de Cristal dont il faudra survoler les forets avant d'atteindre la Désolation ! - Je ne sais pas si j'y arriverais... Les rugissements des proto-drakes se firent entendre. Ils talonnaient le couple et se faisaient de plus en plus menaçants. Leurs ailes et leurs gueules se mettaient par moment à scintiller comme s'ils préparaient une attaque. Le court voyage au-dessus du Chant de Cristal parut une éternité. Bientôt, les neiges de la Désolation étalèrent leur brillance et la pointe de la tour du Temple brilla à l'horizon. Mais la jeune dragonne faiblissait, et les poursuivants s'acharnaient. Les amazones chevaucheuses hurlèrent et Draszil eut à peine le temps de se retourner pour voir un énorme harpon finir sa course contre le flanc de la dragonne rouge, l'éraflant, faisant couler son sang, l'affaiblissant un peu plus. La jeune bête commencer à ralentir, à souffler de fatigue, n'osant pas se retourner pour contre-attaquer. Même les hurlements victorieux et barbares qui la suivaient ne lui donnèrent pas plus de force. Le Temple se rapprochait. Draszil croyaient qu'elles étaient enfin sauvées, mais avant qu'elle ait pu lancer un signal d'alerte, un des drakes fondit sur sa jeune monture, atteignant de ses lourdes pattes griffues le cou de la dragonne qui hurla. Les yeux de Draszil s'écarquillèrent. Elles étaient toutes proches du temple, et la terrasse du premier étage semblait s'avancer dangereusement. La fille du Vol rouge chutait à présent, et aucun des hurlements de la Taurène ne parvint à l'encourager à se redresser. Les dernières images qu'elles purent apercevoir avant de heurter violemment le sol furent celles des gardes dragons qui s'élevèrent face à leurs assaillants. Un rugissement terrible se fit entendre, faisant trembler les lourdes fondations de pierre. Ce fut en sursaut que Draszil s'éveilla, faisant voler les couvertures qui la couvraient. L'ambassadrice du Kirin Tor qui veillait sur elle se leva d'un bond et fila prévenir quelqu'un. La Taurène regarda autour d'elle. Sa vue et ses autres sens se rétablissaient peu à peu, révélant les détails de la pierre qui l'entouraient, des fondations solides de la salle souterraine du Temple. Elle voulut se lever et chancela avant qu'une étrange sensation de renaissance et d'air frais se fasse sentir. Alexstrasza posa son regard sur elle. - Une fois de plus tu as réussi, Héraut. Kowenstrasza est saine et sauve, elle est déjà guérie. Je pense qu'elle a envie de te voir. Quel joli nom... - Ou est-elle ? J'aimerai la voir, moi aussi. Elle n'eut pas le temps de dire un mot de plus qu'elle se retrouva au sommet de la tour du Temple. Une journée entière s'était écoulée, presque deux en vérité, et à l'horizon le soleil se voilait peu à peu pour laisser place à la nuit. La jeune dragonne était assise face à cette superbe vue, les griffes agrippées au bord de pierre, les ailes déployées mais immobiles, telle une statue. Après un regard interrogateur à la Reine Dragon, Draszil s'avança et posa une main sur le flanc sa protégée, qui tourna lentement la tête vers elle, semblant sourire. - Je te suis reconnaissante. Ma mère te remercie également. - Ta mère ? Mais comment... ? Pour toute réponse, la dragonne leva la tête. Notre jeune druidesse fit de même. Elle vit alors ce que seules les créatures hautement magiques telles que les dragons peuvent apercevoir. Le reflet de Keristrasza se dessinait dans les nuages, les ailes étendues, le regard bienveillant, semblant chevauchée de sa forme humaine. Le temps que Draszil s'émerveille suffit à cette vision pour s'échapper et ne jamais reparaître. - Elle aimerait que je te suive. - Comment ? - Elle sait que ta destinée ainsi que celle de ceux qui t'entourent est grande. Elle aimerait que je t'aide, que j'accomplisse tout ceci avec toi, que je t'aide à apporter le salut à notre peuple, à tous les peuples. - Repartons ensemble alors. Elles se sourirent. Enfin, c'est ce que n'importe quel observateur mortel aurait pu déduire, car bien entendu, un sourire ne se voit pas sur le visage d'un dragon, pas plus que les mots qu'elles s'échangèrent ne furent entendus par qui que ce soit d'autre. La dragonne avait livré son cœur, et les paroles étaient devenues superflues pour s'exprimer. La jeune Druidesse voulu se tourner vers la Lieuse-de-Vie, mais elle avait disparu. Kowen s'abaissa pour inviter sa nouvelle compagne à grimper sur son dos, puis elles s'envolèrent ensemble, profitant de la fin d'un jour où rien ne leur arriverait, avant les terribles prochaines épreuves qui les attendaient encore dans les Terres Gelées.
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