Les Lune Rouge, officiaient autrefois en Durotar, détroussant les voyageurs isolés, s’attaquant parfois aux convois. Ils avaient terrorisé Tranchecolline il y a quelques mois et certains de leurs raids venaient même aux portes de la Croisée. Composés d’orcs et de trolls déchus, accompagnés de gnolls, de furbolgs et de harpies bannis de leurs clans, ils comptaient même un nain et deux humaines dans leurs rangs, et bien sur des gobelins avides. Marginaux et clochards pour la plupart, rapineurs et voleurs, ils s’étaient rassemblés et organisés il y a quelques années sous la conduite d’un chef venu d’on ne sait où. Les trolls parlaient d’un servant d’Hakkar, certains d’un Dieu mi tauren mi elfe. La vérité, peu la connaissaient, mais les rumeurs allaient bon train. Satyre, réincarnation de Mannoroth, le chef des élémentaires de feu lui-même, Ragnaros, toutes les idées les plus folles y passaient. Des soupçons pesaient même sur le SI7 de Hurlevent, faisant état d’un groupe subventionné pour créer la panique dans la Horde par des actions de guérilla et ainsi déstabiliser le gouvernement de Thrall. Il y avait longtemps que le Sombre Augure n’avait pas croisé la route de ces bandits. Les plus vieux le reconnaissaient et n’essayaient même plus d’approcher tandis que les jeunes et les nouveaux avaient appris à reconnaitre un certain nombre de tabards, notamment celui de l’Ordre Rynique. Parmi leur hiérarchie criminelle, il circulait le bruit que ces mystiques de l’Ordre savaient croiser le fer et lancer des sorts mieux que bien des milices et armées parcourant ces terres. Les neiges du Norfendre et le combat contre le Fléau avaient encore durci leur volonté et amélioré leurs capacités martiales. C’est pourquoi le Prêtre de l’Ombre fut quelque peu surpris lorsqu’en passant la crête dominant la Croisée, il aperçut l’étendard frappé de la Lune Grimaçante, écarlate sur champ noir. Une poignée d’orcs et gobelins à la mine patibulaire patientaient en travers de la route. Il fit stopper son raptor un instant. Il était venu rencontrer quelques druides et chamans de l’Ordre qui s’inquiétaient des grondements telluriques survenus dans la région. Si les bandits attaquaient le campement impunément, il se demandait où étaient ses amis. Déjà, les bandits l’avaient aperçu. Les cordes d’arc se tendirent, tous se tournèrent vers l’intrus qui semblait étudier le barrage. D’une pensée, le Prêtre de l’Ombre fit charger sa monture. Les flèches fusèrent, mais n’arrivèrent pas. Elles rebondirent sur le bouclier de magie et retombèrent sans plus de dommage sur le sol poussiéreux des Tarides. Le raptor était encore à quelques foulées des bandits mais déjà deux orcs se roulaient à terre, la tête dans les mains, comme brulés de l’intérieur, fous de douleur. Un gobelin au visage mutilé lâcha son épée et sa fronde qu’il ajustait pour se mettre à se gratter frénétiquement tout le corps, alors que des lambeaux de chair se détachaient et que les bubons de peste dévorante couvraient sa peau et éclataient en libérant un pus nauséabond. Avant même que le raptor ne soit au milieu du groupe, les quelques téméraires qui brandissaient leurs armes déchantèrent bien vite, certains tremblant de peur, figés et incapables de bouger, tétanisés, alors que les autres couraient en cercle en hurlant ou s’enfuirent hors de vue. Dans un nuage de poussière, sa monture s’arrêta près du drapeau ; le Prêtre prononça quelques mots, ses yeux s’éclairèrent un bref instant alors qu’il utilisait la lumière divine pour renforcer sa volonté, et une vague de magie sacrée vint frapper les quelques brigands restants autour de lui, illuminant brièvement son corps drapé d’Ombre et tuant tout ceux qui voulaient l’arrêter. D’un coup de bâton, il mit à terre l’étendard rouge et noir et relança sa monture vers le village. Aucun garde ne l’attendait à l’entrée, les échoppes semblaient vides et même la tour de guet était inoccupée. Il arriva à l’auberge et découvrit ce qu’il était arrivé à ses compagnons. Tous étaient étendus là, ainsi que l’aubergiste et d’autres clients, certains le nez dans leur assiette. Les bougies de suif étaient allumées et le feu achevait de se consumer dans l’âtre. Certains étaient déjà allongés sur leurs couches. Le soleil n’était pas très haut dans le ciel, le jour s’était levé il y a peu, et ce qui avait du les frapper tous avait eu lieu la veille au soir, sans prévenir. Craignant le pire, le Prêtre de l’Ombre se pencha sur ses frères taurens. Leur souffle était paisible, ils étaient vivants, mais leur réveil ne fut pas aisé. Il fallut au troll plusieurs minutes pour les sortir de leur torpeur, et ils émergèrent aigris, comme des enfants qu’on aurait tirés du rêve trop tôt. Après quelques questions, il était clair qu’il n’y avait pas eu de signé préliminaire à l’attaque mystérieuse. Les taurens ne se souvenaient que de s’être attablés et avoir discuté, puis plus rien qu’une paisible sérénité de laquelle le Prêtre les avait sorti. Après une rapide concertation, ils s’affairèrent à réveiller les autres occupants de l’auberge. Pas un n’avait plus d’informations, et tous auraient préféré rester endormi. Certains se mirent même à boire immédiatement, espérant que l’abus de boisson les renverrait dans la même torpeur. Rapidement, les Eelons découvrirent que tous dans le campement avaient subi le même sort. A mesure qu’ils réveillaient les habitants, le bruit attira les bandits qui gardaient les autres entrées de la ville. Des petits groupes arrivèrent en délégation, bien vite maitrisés par les quatre compagnons et les quelques gardes ayant repris leurs esprits. Laissant les deux druides Erache et Tromkar réveiller et prendre soin des derniers marchands et voyageurs, Demandred et Lekar montèrent secouer les gardes de la tour. L’un, comme tous les autres, ne se rappelait de rien d’anormal, mais le second fit état d’une vive lueur aperçue au sommet de la colline des esprits avant de sombrer dans le sommeil. Sitôt après ces dires, un félin surgit de l’ombre où il était caché, lança un regard perçant de ses yeux noirs au tabard de l’Ordre et dit d’une voix rauque : « Une lueur vive hein… » Puis il sauta de la tour, se transformant en un noir corbeau et s’envola rapidement, sans que le chaman ou le prêtre n’ait pu esquisser un geste. Redescendant devant l’auberge, les quatre membres de l’Ordre se retrouvèrent et discutèrent de cette rencontre, sans pouvoir rien en tirer de concluant. Comme les druides l’informèrent qu’un autre habitant avait cru voir une lueur lui aussi, le Sombre Augure décida d’aller enquêter là haut avant la tombée du jour. Laissant là les Eelons qui s’occupaient de soigner ceux qui étaient tombés lors de l’évènement, il enfourcha son raptor et mit le cap au Nord. Après quelques heures d’escalade sous le lourd soleil de l’après-midi en Kalimdor, il arriva au sommet. Entre deux gros rochers, il découvrit des pieds menottés. Ils appartenaient à un orc allongé là. Lorsque le Prêtre contourna le rocher, il vit que le corps n’était pas seul. Etendus ici et là étaient une poignée d’orcs et de trolls, un gnome et des gobelins. Tous étaient inconscients comme ceux du village, en beaucoup plus morts. Du sang coulait de leurs orbites, leurs yeux grands ouverts étaient tous blancs. Certains avaient des chaines aux pieds, cachés sous leurs habits noirs frappés d’une lune rouge grimaçante qu’ils arboraient tous. Alors qu’il passait entre les cadavres, cherchant des indices sur ce qui avait pu se produire, le Sombre Augure tomba à genoux. - «Avance vermine ! » Le fouet claqua sur son dos nu, zébrant sa chair à l’endroit même où les plaies se refermaient à peine. La douleur l’emplit, mais il se força à avancer, n’osant regarder son camarade enchainé comme lui. Encadré des gardes armés et des démonistes en robe noire, il trébuchait la tête basse. Partout la lune grimaçante le fixait, se moquant de son sort. « Paie ta dette ! », « Verse ton tribut, bon à rien ! ». Ces mots résonnaient à ses oreilles tandis qu’il pensait à sa famille qu’il aimait, à ses maitres de magie qui l’avait trahi. Il se disait que s’il s’en sortait, il essaierait de les retrouver, de se venger, et cela l’aidait à tenir le coup. Pour le moment cependant, il avançait dans la poussière rouge, vers le soleil qui disparaissait derrière les montagnes lointaines. Le bateau qui les avait débarqués avait déjà repris la mer. « Marche ! » La brute orc abattit de nouveau son fouet, qui claqua en l’air cette fois-ci. Ses yeux se fermèrent lors de la détonation. Il survolait maintenant la cité orc, Orgrimaar la terrible, nichée au cœur des falaises ocres, comme si le sang des orcs qui l’avait bâtie et défendue s’imprégnait dans les murs. La cité était silencieuse. Elle n’avait jamais été bruyante comme les criants marchés gobelins ou les forges et mécanismes de la Cité des Nains, mais le voile de silence qui la recouvrait était inhabituel, oppressant. Il était très loin au dessus, mais rien ne bougeait dans les rues. Très vite, il s’aperçut qu’il se rapprochait, tombait, sans pouvoir battre des bras, léviter ni rien. La chute était de plus en plus rapide, et à mesure que son issue fatale arrivait, il contemplait le sort des habitants. Tous, allongés un peu partout, morts ou endormis. Les corps jonchaient les rues dans les lieux de passage, mais aucun n’avait l’arme à la main, les gardes étaient à leur poste, il n’y avait pas de sang. Il passa à toute vitesse à côté de la tour des wyvernes, ayant juste le temps de voir que les coursiers du vent et leur maître dormaient paisiblement, leur poitrine montant et descendant doucement. Juste après, il atterrit sur le toit de la banque, tout devint noir. Il se réveilla le visage dans la terre des Tarides, la nuit était venue et la lune le regardait en grimaçant semblait-il. Il se releva au milieu des cadavres aux yeux blancs, relevant la tête vers la lune qui apparut normale, blanche et apaisante. « Orgrimaar, l’Ordre… » murmura t’il avant de quitter cette montagne pour rejoindre ses compagnons. |